Le thème des Rencontres étant placé cette année sous le signe du conte, du récit, je me suis permis cette petite histoire.
Pierre Rey.
Comme chaque soir de cette dernière semaine de juillet, les amoureux des
Rencontres commencent à s'aligner devant la porte fermée de la salle de concert. Les premiers sont là deux heures avant le début prévu, ils espèrent trouver ainsi une place d'où ils seront confortables pour bien voir et bien entendre.
L'ambiance est bon enfant, beaucoup se connaissent, d'autres se retrouvent d'année en année et on échange les derniers potins du coin, les dernières découvertes et les espoirs futurs.
Soudain, on entend, venant de derrière la porte toujours fermée, une mélodie qui s'élève. Au début peu y prêtent attention, on pense que ce sont les musiciens qui répètent.
Mais petit à petit la mélodie se fait plus orchestrée, la musique, bien que légèrement étouffée par la porte close, se fait plus ample, plus enlevée. Les gens se taisent les uns après les autres, quelques commentaires encore "on dirait du Boulez"- "c'est Ie coup d'archet de Jean-Guilhen" -"ce doit être les jeunes talents" puis le silence se fait et la cinquantaine de personnes présentes se laisse envahir, envoûtée par une musique magique qui semble venue d'ailleurs.
Les cordes, au moins un sextuor, entraînent la pensée dans un tourbillon de joie, la clarinette apporte son timbre chaud de la réflexion et la flûte traverse parfois tout cela pour nous élever vers des hauteurs inconnues. Le piano est le maître qui fait vivre et cohabiter I'ensemble.
Dans un majestueux accord final, la musique s'arrête laissant les auditeurs, malgré eux, dans un silence profond.
C'est alors que la porte s'ouvre et que les premiers entrent dans la salle. Sur la scène six chaises avec leurs pupitres, deux pupitres en position haute, le piano est ouvert. Curieusement sur les chaises sont disposées des vêtements.
Sur la chaise du premier violon, une belle écharpe de soie multicolore traîne jusqu'à terre ; déployée elle doit pouvoir couvrir six à huit chaises. Sur la chaise d'à côté une écharpe de laine bleue, plus courte. Sur celle d'après une veste polaire d'un bleu sombre un peu délavé.
Et ainsi de suite, sur le pupitre de la flûtiste est accroché un petit sac de sport vert foncé et sur la dernière chaise un pull jaune impérial roulé en boule. Sur un pupitre, une partition a été oubliée et on peut lire le titre de l'oeuvre : "fantaisie pour foulards, écharpe et autres colifichets".
Une autre surprise attend les premiers entrants, sur les chaises des premiers rangs plus d'écharpe, plus de foulards de pulls ou de sacs. Tous sont sur la scène ayant suivi, à I'instar des enfants du flûtiste de Hamelin, les musiciens. Alors, les premiers peuvent prendre place dés les premiers rangs, récompensés ainsi de leur attente, puis chacun et chacune en fonction de son rang d'arrivée au concert.